Laurent-Désiré Kabila, l’ancien maquisard, qui avait déçu d’anciens alliés, américains et belges, était un homme à abattre © AFP
Mais c'est nous qui l'avons éliminé, tout le monde sait cela. » Evoquant l'assassinat de Laurent-Désiré Kabila, tombé le 16 janvier 2001 sous les balles de son garde du corps Rachidi Kasereka, l'ancien procureur général du Rwanda, Gérard Gahima, aujourd'hui passé à l'opposition, rejoignait, sans le savoir, les conclusions d'Arnaud Zajtman et Madeleine Rabaud. Durant des mois, alors qu'ils étaient basés à Kinshasa, ces deux journalistes travaillant pour France 24 et pour la BBC ont essayé de renouer les fils d'un crime non élucidé. Ils se sont rendus à la prison centrale de Kinshasa où ils ont rencontré quelques-uns des 51 condamnés à mort, désignés comme coupables d'un crime qu'ils nient avoir commis et pour lequel Joseph Kabila, fils du défunt président, refuse toute grâce ou tout allègement de la prison à perpétuité qui remplace désormais la peine capitale.
Précis, documenté, ce film qui puise largement dans les archives de l'époque, entre autres dans les images du procès des assassins présumés, qui ont comparu devant la Haute Cour militaire, retrace des pans d'histoire à larges traits. Il rappelle comment Laurent-Désiré Kabila est arrivé au pouvoir à la tête de rebelles venus de l'Est encadrés par l'armée rwandaise, il explique pourquoi l'ancien maquisard, que ses anciens alliés n'arrivaient pas à « gérer » (autrement dit à contrôler), qui avait déçu les Américains et déplu aux Belges à cause de son nationalisme farouche, était, littéralement, un homme à abattre, cible de plusieurs complots, menacé par trop d'ennemis à la fois.
Zajtman et Rabaud parlent d'un homme qui devait mourir, ils évoquent le rôle d'Edy Kapend, l'aide de camp du président qui abattit Rachidi, l'assassin, dans un scénario qui rappelle la mort de Kennedy et ils laissent entendre que Kapend (comme il nous l'avait déjà confié depuis sa prison) n'a fait qu'exécuter les ordres.
Si les auteurs du film estiment que les 51 condamnés, s'ils ne sont pas totalement innocents, sont les moins coupables, et qu'ils sont toujours détenus pour raison d'Etat, qui donc tira les ficelles du complot ? Les Libanais, qui avaient des comptes à régler et perdirent onze membres de leur communauté, sommairement exécutés ? L'attachée militaire américaine, exfiltrée à l'aube du 17 janvier par vol spécial et qui avait laissé sa carte de visite à Rachidi « au cas où… » ? Georges Mirindi, qui attendait l'assassin devant le « palais de marbre » et aurait dû l'aider à s'échapper s'il n'avait pas été abattu ?
Tous nient, dévient les questions trop directes. Si le film n'avance aucune réponse définitive, il propose le scénario le plus probable : les voisins rwandais, déçus par le manque de coopération de Kabila, exaspérés par l'enlisement de la « deuxième guerre » entamée en 1998, auraient décidé d'en finir, avec peut-être l'encouragement des Américains. Pour cela, ils utilisèrent des hommes venus de l'Est comme Mirindi et d'autres anciens « kadogos », ces enfants-soldats déçus par les difficultés de la vie à Kinshasa. Mirindi, qui parle beaucoup pour en dire très peu, avait miraculeusement réussi à s'échapper de prison pour rejoindre ensuite les rangs du RCD Goma, le mouvement rebelle sous la tutelle de Kigali.
Le film de Zajtman et Rabaud n'apporte aucune réponse définitive, mais entre les questions, il trace des pointillés troublants. Au téléspectateur de tracer la ligne…